Avant-propos : En guise de présentation
“C’est pas croyable le mépris de tous ces gens bien pour ceux qui contestent le Pass sanitaire ! Ça me rappelle l’attitude des mêmes, en 2005, à l’égard de ceux qui voulaient voter non au référendum et qui ne pouvaient être que des abrutis, incultes ou extrémistes. » Ainsi s’exclamait Gérard Miller sur Twitter, le 17 juillet 2021. Le psychanalyste précisait sa pensée, quelques minutes plus tard : « Bien avant le Covid et le macronisme, en 2005, à l’occasion du référendum sur la Constitution européenne, on avait déjà vu les gens bien, de gauche et de droite, faire cause commune contre le vulgum pecus, la multitude ignorante, ces “Français en colère” si déraisonnables. » Il faut dire que, depuis cinq jours, les invectives et les noms d’oiseaux pleuvaient dru au comptoir des réseaux asociaux. Même à Gravelotte, personne n’avait encore vu ça !
L’insulte, le mépris remplacent désormais – peut-être ? probablement ? – l’élégance dans la tradition française ! Mon contradicteur est un connard ! Hier « gauchiste », il est aujourd’hui devenu « fasciste »; mieux : « complotiste », l’injure à la mode pour couper court à toute argumentation. Il n’a forcément rien compris, c’est une merde, il ne mérite pas de vivre. Qu’il crève ! Qu’on lui retire ses allocs ! Sa couverture sociale ! Son salaire ! Ça lui apprendra à ce crétin ! Les temps ont changé : au milieu du xxe siècle, les hommes voyaient dans 1984[1]*, l’œuvre la plus célèbre de George Orwell, un roman d’anticipation. L’écrivain ne faisait pourtant que pousser à l’extrême la logique du stalinisme et du nazisme pour imaginer la société totalitaire de demain. Depuis 1949, la réalité n’a cessé de se rapprocher de la science-fiction, mais Orwell reste un auteur d’anticipation. Albert Camus nous avait prévenus :
« Sur la plus grande partie du monde, le dialogue est remplacé aujourd’hui par la polémique, langage de l’efficacité. Le xxe siècle est, chez nous, le siècle de la polémique et de l’insulte. Elle tient, entre les nations et les individus, et au niveau même de disciplines autrefois désintéressées la place que tenait traditionnellement le dialogue réfléchi. Des milliers de voix, jour et nuit, poursuivant chacune de son côté un tumultueux monologue, déversant sur les peuples un torrent de paroles mystificatrices. Mais quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard. Grâce à la polémique, nous ne vivons plus dans un monde d’hommes, mais dans un monde de silhouettes[2]. »
En renonçant à la parole, le Français régresse. Il aboie, éructe, insulte, préfère le débat au dialogue ; se battre plutôt que réfléchir à travers la parole de l’autre. Pour ça, nul besoin de lire, de voir ou d’apprendre, il suffit de hurler plus fort que le voisin ! Le temps court se prête davantage aux platitudes qu’au savoir. La solidarité, la fraternité deviennent de lointains souvenirs. Qu’en est-il de la liberté ? De l’égalité ? La France se transforme en jungle, la culture et l’analyse politique s’y perdent. Quelle image pitoyable pour un peuple qui ose encore se réclamer des Lumières, et revendiquer le titre de patrie des Droits de l’Homme ! Comment des hommes qui manifestent une telle peur de mourir, peuvent-ils comprendre ceux qui n’ont qu’une envie : vivre ?
Je dresse ici, en toile de fond du combat d’un couple séparé par des décisions absurdes, le portrait d’un système décadent, pris dans une dérive totalitaire fascisante. Le mot est fort, j’en conviens. Ce n’est pas parce que le « nationalisme » qui en fondait le socle, au xxe siècle, a disparu, que l’idéologie totalitaire n’est plus. Bien au contraire peut-être : avoir perdu de vue qu’une nation est avant tout un projet élaboré et mis en œuvre collectivement profite à la peste brune. En se révélant incapable de se repenser en dehors d’une langue ou d’une religion, d’accepter sa pluriethnicité et son multiculturalisme, la France tombe naturellement dans l’exacerbation des tensions. Son obstination à refuser la réalité socioculturelle appelle des réponses de plus en plus autoritaires.
Poussée à son extrême, la logique du libéralisme dessine la société totalitaire décrite par Orwell. Basée sur la concentration croissante des richesses, des territoires, du pouvoir… nos sociétés « libérales » ne peuvent que renforcer toujours et encore le contrôle des populations ; c’est-à-dire plus de police, moins de liberté et, a contrario, des tensions sans cesse exacerbées. Lorsque j’entends de plus en plus de voix s’élever pour que les réfractaires au vaccin prennent en charge leurs frais d’hospitalisation, je me dis que nous ne sommes pas loin non plus du moment où l’on réclamera aux fumeurs de prendre en charge le traitement de leurs cancers, aux buveurs leurs cures de désintoxication, aux opposants au préservatif leurs trithérapies… qu’à ce rythme, non seulement la Sécurité sociale, mais l’idée même de Sécurité sociale, n’aura plus de raison d’être ; qu’à ce moment-là, on ne verra pas non plus grand intérêt à financer une école publique aux indécrottables cancres qui la dénigrent et, plutôt qu’entretenir derrière les barreaux des Salah Abdeslam, on ferait mieux de leur tirer une balle dans la tête, sans oublier d’envoyer la facture de ladite balle à leur famille.
Personne ne contestera à Emmanuel Macron ses talents de manipulateur[3], d’être ce genre de bouffon caricaturé par Charlie Chaplin dans Le Dictateur. Incapable d’imaginer une nation moderne tenant compte de la réalité socioculturelle de la France au xxie siècle, il n’a pas d’autre choix que faire du Le Pen, faire « mieux » que Le Pen, pencher toujours et encore vers le totalitarisme, de souffler sur la haine et les frustrations que cinquante ans de « crise » ont accumulées au fond de chacun. Une telle impasse ne laisse guère le choix qu’entre l’autoritarisme de Macron ou celui de Le Pen qui ne seront, l’un comme l’autre, que les exécutants de décisions prises par des hommes de l’ombre, non élus (haut-fonctionnaires, patrons de la finance et des principales multinationales).
D’un mensonge à l’autre, à l’abri de son Conseil de défense, sa dérive autoritaire devient fascisante lorsqu’intervient la manipulation par laquelle Emmanuel Macron amène une partie de la population à réclamer des mesures encore plus autoritaires contre une autre partie de la population. Les « pro » ceci, les « anti » cela sont plus zélés que la plus répressive des polices. Ici, commence le « populisme » et Macron n’a rien fait d’autre dans sa gestion de la « crise » du Covid. Il peut alors rabaisser la parole du chef de l’État au niveau du comptoir des cafés du commerce – Facebook, Twitter ou YouTube – où celle de l’expert ne vaut pas plus que celle du pilier de bar, intellectuel de l’apéro qui, fort de l’exemple venu d’en haut, s’enorgueillit de ne jamais ouvrir un livre[4].
En se désintéressant des affaires publiques pour crier avec le loup, les Français ont créé les conditions propices à l’instauration de ce type de régime. Ces Lacombe Lucien ne voient même pas, pour paraphraser René Chiche[5], qu’après les juges auxquels ils disent de juger, aux professeurs auxquels ils disent comment enseigner, les technocrates disent aujourd’hui aux médecins comment soigner ; sous couvert d’une politique préventive, ils ne font, en fait, que de l’hygiénisme.
En un demi-siècle, les Français ont laissé disparaître les contre-pouvoirs : syndicats et associations, sans lesquels l’atomisation de l’échiquier politique n’aurait pas été possible. L’Assemblée nationale elle-même, conçue comme un garde-fou de l’exécutif, a été neutralisée ; la transformation du septennat en quinquennat et l’organisation concomitante des élections présidentielle et législatives ont mis un terme définitif à toute cohabitation et à la possibilité de censurer le gouvernement. Depuis cette réforme, en 2002, la France attendait son duce. Elle l’a trouvé. Elle n’est plus présidée par un homme au-dessus des partis, mais par l’homme d’un parti dont l’idéologie passe avant l’intérêt général. Pour la première fois de son histoire, elle a même élu, en 2017, un homme sans parti, tant il est difficile de voir un « parti politique » dans une organisation créée pour la circonstance, estampillé des initiales de son fondateur, et qui ne lui survivra pas plus que les marchepieds des potentats des républiques bananières.
Ce n’est donc pas encore avec ce livre que je me ferai de nouveaux amis. Il n’y a pourtant dans les lignes qui suivent aucune négation de l’existence du Sars-CoV.2, alias Covid-19 ; aucune négation de la nécessité de la vaccination ni de l’obligation vaccinale contre des maladies invalidantes ou létales ; il n’y est fait aucune allusion, de près ou de loin, à un quelconque complot ourdi par je ne sais quelle société secrète. En revanche, chercher à comprendre l’histoire singulière de ce couple et de ses deux enfants en dehors de son contexte politique serait une erreur fondamentale : le quotidien des hommes doit façonner la politique et non le contraire. Les décisions auxquelles cette famille – qui ne mettait en péril rien ni personne – a été soumise reflètent le manque total de discernement – mélange d’arbitraire et d’ignorance, quand ce n’est pas d’intolérance – caractéristique des sociétés contemporaines.
Il suffit de mettre en perspective le présent à la lumière du passé pour constater que la concentration à laquelle aspire le libéralisme se fait au détriment de la diversité, la croissance au détriment de l’harmonie ; que la conquête de l’espace (terrestre) et du nombre a, de tout temps, été synonyme de puissance, le Graal de l’être humain. Pour l’atteindre, il n’hésite pas à éliminer les espèces qu’il ne peut domestiquer. Des peuples et des langues disparaissent en permanence. Quel pays ne s’est pas construit par l’absorption d’entités plus petites, dans un mouvement d’uniformisation, de globalisation, de centralisation ? L’Europe n’y échappe pas. L’harmonie ne s’épanouit certainement pas à l’intérieur de ces structures concentrationnaires, bien au contraire, mais dans l’intimité d’espaces réduits, à taille humaine.
La volonté de domination se situe au cœur des rapports sociaux. Les décisions prises depuis 2020 ne dérogent pas à la règle, bien au contraire. Le pouvoir (quel qu’il soit) n’a jamais régné autrement qu’en divisant, en jouant alternativement ou simultanément de la peur et de la bêtise. Beaucoup semblent avoir oublié que, consciemment ou non, l’homme poursuit des objectifs, agit sur un socle d’idées et de convictions, caresse des prrroooojjjets. Au sommet des États, des hommes et des femmes mus par des ambitions de pouvoir et non par l’intérêt commun, plus que les autres.
Je me contenterai ici de citer des faits, de préférence chronologiquement, même s’il me fut parfois difficile de ne pas les replacer dans un contexte que le futur a éclairé, voire confirmé.
Bonne lecture…
[1] George Orwell : 1984 (Gallimard, 1950 ; parution originale aux États-Unis en 1949). Une adaptation cinématographique, réalisée par Michael Radford, est sortie en… 1984, visionnable sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=Wp7FxIawjvc.
[2] Albert Camus : Le Temps des meurtriers (conférence prononcée le 4 août 1949 à Sao Paulo, publiée dans Œuvres Complètes, t. III ; Gallimard, 2008).
[3] On lira à ce propos Le Grand manipulateur de Marc Endeweld (Stock, 2019). Endeweld, journaliste, originaire d’Amiens comme Macron, avait déjà consacré un ouvrage à L’Ambigu Monsieur Macron (Flammarion, 2015). Plus court, mais tout aussi savoureux : Comment Macron m’a séduit, puis trahi d’Adrien de Triconot, journaliste du Monde, à lire sur StreetPress (https://www.streetpress.com/sujet/1486723160-macron-le-monde). On retrouve cette désopilante partie de cache-cache également
sur le Club Médiapart : https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/140517/comment-macron-m-seduit-puis-trahi.
[4] À la suite de l’attribution du prix Nobel de littérature à Patrick Modiano, Fleur Pellerin, ministre de la Culture de François Hollande (août 2015 – février 2016), avait avoué n’avoir jamais lu un de ses ouvrages et d’ailleurs ne plus avoir ouvert de livre depuis « deux ans » (le 4 octobre 2015 dans l’émission Le Supplément, diffusée sur Canal+).
[5] Agrégé de philosophie, René Chiche est l’auteur de La Désinstruction nationale (Ovadia, 2019). La paraphrase est tirée d’un de ses tweets (3 septembre 2021).
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